La maternité est une étape clef de la vie des hommes et des femmes. Ce qui s’y joue est sans commune mesure avec les défis professionnels les plus exaltants. L’accueil d’une vie nouvelle, l’émotion face à la vulnérabilité, l’accès à la responsabilité parentale, la promesse de bonheur, la joie d’aimer… mais aussi l’inquiétude, la fatigue, l’adaptation laborieuse, les tensions au sein du couple, la souffrance aussi parfois.
Dans cette perspective, le congé maternité est conçu pour permettre à la collaboratrice de vivre le bouleversement physique et émotionnel de la naissance à l’écart de la rationalité de l’entreprise. Très encadré légalement, le congé maternité est installé depuis longtemps dans les pratiques et sa durée semble correspondre à un point d’équilibre entre les besoins des mères et les contraintes de la vie professionnelle. Il reste pourtant une pierre d’achoppement dans la carrière des femmes.
Peu d’entreprises parviennent en effet à créer le cadre de confiance qui permet à leurs collaboratrices de vivre sereinement les étapes clefs du départ en congé maternité et du retour ensuite à leurs responsabilités professionnelles. Pour beaucoup de femmes, les maternités sont un point de bascule dans leur engagement professionnel.
L’accompagnement du manager face à la réalité d’une perturbation du collectif de travail
Les managers sont le plus souvent sensibilisés aux enjeux d’une mauvaise gestion des congés de maternité. Mauvaise gestion qui peut générer de la frustration, un désinvestissement, une révision à la baisse de l’ambition… ce qui à terme engendre une sous-valorisation des compétences des femmes et accentue les inégalités.
Mais sont-ils vraiment accompagnés pour gérer sereinement les impacts d’une maternité ?
Pour un manager, au-delà des félicitations de rigueur, l’annonce d’une maternité dans l’équipe signifie le plus souvent une incertitude, doublée d’une désorganisation temporaire du collectif de travail. Comment faire face à une absence minimum de 16 semaines ? Est-il possible de remplacer la collaboratrice absente durant le congé maternité ?
Les collègues de travail peuvent-ils assumer, et si oui, vont-ils accepter de supporter un surcroît de travail pendant les mois d’absence ?
Est-ce au manager de prendre lui-même en charge les responsabilités habituelles de la collaboratrice ?
Qui pour reconnaître les difficultés dans lesquelles il est soudain placé, qui pour comprendre sa culpabilité à ne pas pouvoir se réjouir face à un événement que tout le monde qualifie de merveilleux ? Reconnaître la réalité de la perturbation que représente une maternité dans le monde professionnel est nécessaire pour sortir d’une forme pernicieuse d’ambiguïté. Les difficultés relationnelles qui peuvent survenir ne sont pas nécessairement la marque de mauvaises volontés individuelles. Le reconnaître, c’est éviter de passer à côté de solutions concrètes qui permettraient de normaliser l’annonce d’une grossesse.
Tout l’enjeu est donc d’acter cette perturbation comme n’importe quel aléa organisationnel, et de créer les conditions pour qu’elle n’affecte ni la valeur professionnelle de la collaboratrice enceinte, ni celle de son manager.
La culpabilisation peut aller très loin, jusqu’à faire différer des projets d’enfants au risque de trop les différer ; ou d’en venir à proposer des solutions comme la congélation des ovocytes.
Comment faire d’abord pour que les femmes ne portent pas le chapeau de la perturbation générée par leur absence pour maternité ?
Une première réponse est de ne pas laisser le manager seul face à la désorganisation qu’il subit : l’aider à réfléchiravec lui aux solutions organisationnelles, renforcer son équipe, ajuster ses objectifs, prévenir ses clients, répartir les tâches dans l’équipe tout en maintenant sa cohésion… autant de signes de la solidarité de l’organisation et de la prise en compte de la maternité dans le quotidien opérationnel du manager. Cet accompagnement du manager est souvent spectaculairement absent, faisant reposer sur ses seules épaules l’ensemble des contraintes organisationnelles. Pour le dire autrement, il est seul, et n’a pour tout droit que de se réjouir publiquement face aux difficultés.
Une deuxième réponse est, par la communication et la sensibilisation, d’alléger les stéréotypes associés au congé maternité pour l’aborder de plus en plus comme une donnée neutre du quotidien.
Certaines personnes militent notamment pour ne plus utiliser l’expression « congé » qui induirait la notion de vacances ou de repos, pour lui préférer celle de « temps maternité ».
Promouvoir activement le « congé paternité » (28 jours dont une semaine obligatoire aujourd’hui) est une autre façon de sortir le « congé maternité » d’une spécificité féminine stéréotypée : en rendant l’absence professionnelle pour raison impérative plus universelle, donc plus commune, elle sera nécessairement mieux prise en compte dans l’organisation au jour le jour.
Dans un autre registre, l’expérience israélienne est éclairante : dans ce pays souvent en guerre, tous les citoyens, hommes et les femmes, font leur service militaire et sont réservistes. Ils sont tous tenus de s’absenter régulièrement pour des périodes militaires de 30 jours ; plus 1 jour par mois ou 3 jours consécutifs par trimestre. Les officiers sont tenus à un service additionnel de 7 jours par an. Tous sont mobilisables n’importe quand en cas de tension, comme cela a été le cas lors des conflits au Liban ou à Gaza.
En conséquence, les entreprises israéliennes considèrent le plus souvent l’absence imprévue de collaborateurs comme une contrainte organisationnelle indiscutable, équivalente pour les hommes et les femmes. Dans ce contexte, l’absence pour maternité prend très naturellement sa place, sans être chargée des stéréotypes et préjugés spécifiquement attachés aux femmes ou aux mères.

L’accompagnement de la femme enceinte, sur une étape clef de sa vie personnelle et professionnelle
On le sait, pour près de 30% des futures mères, l’annonce de leur grossesse au travail génère un stress : comment la nouvelle va-t-elle être prise, quelles en seront les conséquences pour son équipe, pour son manager ? pour sa carrière ? Face à une organisation tendue, à un management rivé sur des objectifs à court terme, la culpabilité survient trop souvent.
Dans cette période sensible, la qualité du lien entre le manager et sa collaboratrice est un déterminant de la motivation de cette dernière à se réengager professionnellement après la naissance. Voici quelques repères basiques et de bon sens, pour favoriser cette qualité de lien avant, pendant et après le congé.
Avant le congé, le point d’attention est l’attitude avec laquelle l’annonce de la grossesse est accueillie, attitude qui cherche à ne pas culpabiliser et à rassurer. Le manager sera d’autant plus capable d’une telle attitude qu’il se sentira soutenu par sa hiérarchie pour faire face aux impacts de la maternité de sa collaboratrice.
Ensuite, l’anticipation est le mot clef pour nourrir la qualité du lien avec la femme enceinte :
- Dialoguer de façon transparente avec elle pour organiser son départ, son remplacement et son retour.
- Prévoir autant que possible le retour et ses conditions : date, progressivité, poursuite de l’allaitement…
- Rassurer sur l’équité des modalités d’évaluation de la performance
Pendant le congé, la question est celle du maintien du juste lien, correspondant aux attentes de la personne :
- Définir la modalité la plus ajustée de transmission d’infos générales.
- Si accord de l’intéressée, transmettre les postes à pourvoir éventuellement ouverts dans l’entreprise, correspondant au profil et/ou souhaits de mobilité.
Enfin, le retour du congé maternité est un élément qu’il convient de soigner pour ne pas risquer déception et démotivation.
- Lors de l’entretien de retour de congé maternité, qui est obligatoire, il est important de prendre le temps d’échanger sur les aspirations et/ou nouvelles contraintes. Le manager montre ainsi qu’il est conscient des impacts de cet événement important dans la vie de sa collaboratrice et qu’il est disposé à en tenir compte. Pour rappel, un entretien de retour de congé paternité serait aussi l’occasion de normaliser la réflexion, pour les hommes comme pour les femmes, sur les adaptations organisationnelles possibles suite à une naissance.
- Même si cela peut paraître contre-intuitif, une promotion proposée en retour de congé peut renforcer l’implication d’une femme qui sera reconnaissante envers son manager de ne pas l’avoir laissée de côté pour cause de maternité.
- Il est très important de veiller à ce que la personne soit traitée équitablement en termes d’offre de formations.
- Enfin, lors de l’évaluation d’une femme de retour de congé de maternité, il est plus juste de tenir compte des résultats au prorata du temps travaillé et non de l’année pleine
- Notez aussi que légalement, une femme au retour de son congé maternité doit recevoir au moins la moyenne des revalorisations salariales
En septembre dernier, l’enquête « Donnons la parole aux mères » réalisée par le MMM, Mouvement Mondial des Mères, révélait que lors de leur retour au travail, 60% des mères aimeraient bénéficier de davantage de flexibilité professionnelle.
Flexibilité, confiance, ajustement de la charge de travail, des objectifs, des projets… échelonnement de la carrière… tant de choses sont possibles dès lors que l’on centre le regard sur la personne et ses besoins plutôt que sur les perturbations qu’elle génère. L’inclusion, la vraie, c’est ça : au lieu de gérer une grossesse comme une perturbation de la normalité, la voir comme une normalité et concevoir l’organisation et l’accompagnement de toutes les parties prenantes en fonction, et celui du manager au premier chef.
Concluons par cette phrase du chercheur canadien Dane Jensen : « Les meilleurs managers sont ceux qui considèrent leurs employés non pas comme des pions destinés à accomplir des tâches, mais comme des personnes ayant une famille, des responsabilités et une vie bien remplie en dehors du travail. »
Une organisation inclusive, vraiment inclusive, est construite autour des personnes et de leurs besoins pour être toujours au maximum de leur performance. Dans cette perspective, la maternité n’est plus une contrainte de plus à gérer. C’est l’occasion, pour une organisation inclusive, de faire la différence avec une organisation déclusive. Découvrez nos conférences sur ce sujet.