Un thème universel pour questionner, s’étonner, inventer, agir !
Ancestral, complexe, culturel, personnel, parfois stressant et conflictuel, l’argent est un sujet énorme.
Companieros, à travers son podcast Les hommes, les femmes et l’argent : Un thème universel pour questionner, s’étonner, inventer, agir ! se propose d’y tracer quelques sillons au prisme de la mixité femmes-hommes.
L’argent : un sujet vital, tabou, symbolique
Pour vous personnellement, que représente l’argent ?
Sans surprise, à cette question posée en février 2023 dans le cadre d’une étude IFOP, menée conjointement pour le groupe Bayard, Boursorama et la Financière de l’Échiquier, et pour laquelle 8 réponses étaient proposées, la réponse « une nécessité pour vivre » est citée en 1er ou en 2ème par 88% des femmes et 80% des hommes. En deuxième position, vient la réponse « La liberté de réaliser ses projets », citée par 76% des femmes et 67% des hommes.
On le voit, hommes et femmes se retrouvent globalement sur cette dimension essentielle de l’argent, même si les hommes vont un peu plus évoquer que les femmes, d’autres dimensions :
- Un pouvoir pour peser dans la société : 8% vs 4%
- Un but en soi, quelque chose qu’il faut amasser : 7% vs 4%
- Un domaine passionnant (la finance, les placements, le fonctionnement de l’économie…) : 6% vs 3%
Sujet vital, l’argent est aussi et surtout un sujet complexe, tabou, traversé d’enjeux d’image sociale :
Une étude très intéressante menée en 2022 par Harris Interactive pour l’observatoire CETELEM, quantifie un certain nombre de perceptions que nous avons intuitivement sur le poids de l’argent, dans notre rapport à l’autre.
Ainsi, d’après cette étude, 80% des Français pensent que parler d’argent est davantage tabou en France que dans les autres pays, et 67% que gagner beaucoup d’argent est mal vu dans la société. Sur ce dernier point, il y a une assez forte disparité entre hommes et femmes, puisque 41% des femmes ne sont pas d’accord avec cette idée contre 23% des hommes.
Ainsi, s’il est très facile de parler d’argent avec son conjoint pour 59% des personnes, c’est plus compliqué voire difficile avec la famille nucléaire (25%), les amis (18%), la famille étendue (14%), les collègues de travail (15%).
C’est difficile peut-être parce que l’argent, c’est pour beaucoup, consciemment ou inconsciemment un critère d’estimation sociale. Ainsi, l’argent, le fait d’en avoir ou non, le fait d’en gagner beaucoup ou non, est important dans la façon dont les personnes se jugent elles-mêmes, (très important ou plutôt important pour 54% des personnes interrogées), dans la façon dont elles jugent et/ou considèrent les autres (38%), dans le choix des fréquentations (36%).
Ces chiffres, même s’ils peuvent être affectés de biais d’insincérité, nous invitent à questionner notre propre rapport à l’argent, et celui de ceux qui nous entourent, hommes, femmes et de voir si nous pouvons à notre niveau observer des différences.
Nous avons tous un rapport à l’argent unique, grandement lié à l’environnement familial dans lequel nous avons grandi, à la façon dont l’argent était vécu sous nos yeux d’enfants : ai-je grandi dans un contexte où l’argent manquait ? ou au contraire coulait à flot ? Comment parlait-on de l’argent ? avec fierté ? mépris ? passion ? Des histoires d’argent pesaient-elles sur les liens familiaux de nos parents ? étaient-elles taboues ? ou au contraire obsessionnelles ? Et moi, quand j’étais petit, est-ce que j’avais de l’argent de poche ? est-ce que je le gagnais… ?
L’argent c’est beaucoup plus que l’argent , il a une portée symbolique!
Pour certains, l’argent renvoie à un pouvoir, à une force, à une puissance. Pour d’autres, l’argent renvoie en priorité à la protection, la sécurité. Pour d’autres, l’argent renvoie au plaisir, à la libéralité, à la générosité. Mal régulés, ces niveaux symboliques peuvent générer des besoins malsains et excessifs d’amasser de l’argent, pour dominer, jouir, épater, pervertir, dilapider.
Vital et central dans nos vies, l’argent charrie avec lui une complexité et parfois une conflictualité, qui reflètent nos propres ambivalences : nos besoins de sécurité et de liberté, de discrétion et de reconnaissance, de raison et de folie, de générosité et de calcul…
Les hommes et les femmes sont-ils à égalité face à l’argent ?
Non bien sûr, et pour commencer nous donnerons trois chiffres pour illustrer l’inégalité de fait entre hommes et femmes:
- Les revenus des femmes sont en moyenne inférieurs de 22% à ceux des hommes
- Le niveau de retraite des femmes est en moyenne inférieur de 40% à celui des hommes
- Le niveau de patrimoine des femmes est en moyenne inférieur de 16% à celui des hommes
Ces chiffres sont bruts et il conviendrait de les placer dans une perspective temporelle pour mettre en lumière les progrès déjà réalisés et les inégalités persistantes. Il importe de comprendre que pour une large part, ils reflètent de vraies différences entre hommes et femmes, liées au fait que les femmes ont longtemps été éloignées des questions d’argent, particulièrement les femmes mariées.
Rappelons quelques dates, qui montrent à quel point l’indépendance financière des femmes est une conquête récente.
- 1804 : Le code civil institue l’incapacité juridique de la femme mariée. Au nom de la famille et de sa stabilité, les femmes sont soumises à l’autorité du mari.
- 1881 : une femme mariée peut ouvrir un livret d’épargne sans l’autorisation de son mari
- 1965 : Désormais les femmes peuvent exercer une profession et ouvrir un compte bancaire à leur nom sans le consentement de leur mari.
- 1967 : les femmes sont autorisées à entrer à la bourse de Paris et à spéculer
- 1972 : la loi consacre le principe « à travail égal, salaire égal »
Fruits de cette histoire, les rôles spécifiques des hommes et des femmes font l’objet de stéréotypes puissants qui pèsent sur leur situation financière respective
Les normes sociétales ont longtemps poussé à une spécialisation des rôles, lorsque le conjoint était en emploi, a fortiori dans une catégorie socioprofessionnelle favorisée : les femmes se retiraient du marché du travail pour prendre en charge le travail domestique, le niveau de vie du ménage étant assuré par le revenu du conjoint.
Alors que le taux d’activité des femmes et des hommes n’a cessé de se rapprocher – les femmes représentent aujourd’hui 48,5% de la population active française – nous sommes encore largement habités par le modèle du couple composé d’un homme, principal apporteur de ressources du foyer, et d’une femme responsable de la bonne tenue du foyer et de l’éducation des enfants.
Et ce modèle pèse largement sur les différences de revenu entre hommes et femmes, au travers des choix de carrières au sein des couples, du recours au temps partiel plus fréquent pour la prise en charge des responsabilités familiales, de la moindre disponibilité supposée pour les postes à responsabilités, etc…
Les hommes, les femmes et l’argent : de fortes évolutions à l’œuvre dans les couples mais jusqu’où ?
Le modèle traditionnel du couple est longtemps allé de pair avec la tendance, générale en Europe, pour une femme à épouser un homme de condition légèrement à très supérieure à la sienne.
Des chercheurs suggèrent aujourd’hui que ce modèle dit de « l’hypergamie féminine » est en train de se briser du fait du large accès des femmes au monde du travail et à des plus hautes rémunérations mais surtout à un niveau d’éducation en moyenne plus élevé que celui des hommes dans les jeunes couples. Cela irait dans le sens d’un moindre poids de l’argent dans les critères de mise en couple. Et ce serait le renversement inédit d’une logique qui pour certains est proprement anthropologique, et à tout le moins évolutionnaire.
Mais, il n’est pas sûr que les choses changent si fondamentalement. Si l’on en croit une étude récente menée en 2021 par l’IFS, Institute for Family Studies, auprès de 55000 Américains, la probabilité de mariage augmente, pour les hommes, à mesure que le revenu augmente, alors que le revenu n’est pas corrélé au mariage pour les femmes.
Cette étude montre également que les hommes à haut revenus sont plus susceptibles de rester mariés et que si les hommes à revenu haut divorcent, ils sont plus susceptibles de se remarier que les hommes à plus faible revenu.
Je vous laisse avec ces deux visions contradictoires, pour vous forger votre idée, avec ou sans idées préconçues !
Les hommes, les femmes et l’argent : quelques repères pour l’action
Comment le vaste sujet de l’argent, au prisme de la mixité entre hommes et femmes peut-il nous inviter à l’action ?
Nous avons sélectionné quelques pistes :
Sur un plan individuel, d’abord, l’argent, bon serviteur mais mauvais maître, (il paraît que l’expression remonte au poète latin Horace !) reste un sujet permanent de questionnement, de discernement, pour les hommes comme pour les femmes ! La bonne place de l’argent dans nos priorités et un enjeu de sens au travail pour chacun de nous, d’équilibre entre nos différentes sphères de vie et plus largement peut-être de bonheur.
Sur un plan familial, de nombreuses décisions se prennent, dans les contraintes du moment et dans l’intérêt des familles, mais sans forcément avoir pris le temps d’en mesurer les conséquences à moyen long terme pour le couple, pour la famille, mais aussi pour chacun des partenaires. IL en résulte un enjeu de dialogue éclairé dans la perspective d’une préservation des intérêts financiers des femmes surtout, en cas de séparation. Actuellement, l’INSEE documente largement cette réalité d’une perte de revenu des femmes au moment du divorce qui atteint 16% de plus que celle des hommes.
De nombreux sujets sont à questionner entre conjoints :
- Choix de métiers compatibles avec une vie privée prenante, mais moins valorisés financièrement
- Passage à temps partiel d’un conjoint
- fort engagement d’un conjoint dans sa carrière qui contraint de fait l’autre à lever le pied
- répartition des tâches familiales
- mode de gestion des revenus : mise en commun totale, partielle, séparée ?
- utilisation de l’argent.
- Partage d’information sur les investissements financiers
Il semble aujourd’hui, que dans les couples, les dépenses courantes restent souvent sous la responsabilité des femmes, et que les placements financiers sous celle des hommes, générant parfois un déficit de connaissances patrimoniale et financière des femmes.
Dans le monde du travail, je ferai deux focus seulement, l’un sur l’argent comme pouvoir d’achat, l’autre sur l’argent comme pouvoir de dépenser.
Le pouvoir d’achat, c’est en grande partie les salaires, avec la grande question des inégalités salariales
Les revenus salariaux des femmes sont inférieurs de 22% à ceux des hommes, et de 34% pour les plus hauts salaires (Chiffres Insee, mars 2022)
- une partie s’explique par le fait que les femmes et les hommes ne travaillent pas dans les mêmes secteurs, et que les secteurs les plus féminisés sont souvent les moins valorisés, y compris au sein même des entreprises.
- une partie s’explique par des différences de durée du temps de travail (davantage de temps partiel)
- une petite partie reste inexpliquée
Depuis l’instauration de l’index de l’égalité professionnelle, les entreprises sont très regardées et des progrès importants ont été faits sur les indicateurs légaux. Mais l’accès large des femmes aux plus hautes rémunérations passe par une transformation profonde de la culture de l’entreprise, pour
- Favoriser la mixité dans tous les métiers et notamment les plus valorisés
- Mettre en place des grilles de salaires et des process RH de recrutement et de promotion transparents, neutres, communiqués
- Développer la capacité de négociation des tous ses collaborateurs
- Former les managers aux stéréotypes et en particulier aux phénomènes d’auto-censure pour qu’ils accompagnent mieux l’ambition de leurs collaborateurs
- Lutter contre les pratiques déclusives, qui défavorisent les salariés ayant de fortes contraintes privées : horaires de réunion, organisation des formation, sélection des talents…
- Accompagner la parentalité de façon positive et non discriminante
- Rester en veille sur l’égalité salariale aux moments charnières comme les congés maternité
Les femmes ont de l’argent
Depuis les années 50, le développement exponentiel de la société de consommation parallèlement à l’acquisition de leur autonomie financière, les femmes constituent un marché à part entière.
Ce sont elles qui sont majoritairement en charge des achats du quotidien : les entreprises de grande consommation connaissent d’ailleurs bien la cible « ménagères de moins de 50 ans » quand elles achètent des espaces publicitaires en télévision
Cela pose aux acteurs économiques une question intéressante et qui n’a pas de solution unique : Les femmes doivent-elles être considérées comme une cible marketing à part ?
Ce raisonnement est légitime, pour concevoir des produits répondant à des besoins spécifiques, ou adopter des registres de communication qui leur parlent avec justesse.
Mais, il y des pièges ! En voulant créer des segments très différenciés hommes-femmes, on prend le risque de retomber dans des codes stéréotypés. L’exemple typique est celui des jouets pour enfants dont les références ont explosé pour avoir des jouets « pour fille » et d’autres « pour garçon », afin que les parents doivent acheter deux fois plus de jouets ! Sans de très bonnes études des consos, on risque fort de passer à côté des vrais besoins, voire de créer un bad buzz, comme le Stylo bic « pour femme » dans les années 2010 qui a ulcéré bon nombre de consommatrices !
La responsabilité de l’entreprise est de traiter les besoins qui peuvent être spécifiques aux hommes ou aux femmes, sans tomber dans des caricatures, et sans enfermer les uns et les autres dans les attentes différenciées. La mixité des équipes est un premier point d’appui pour cela !
Sur le plan de la société, si le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, semble aujourd’hui consacré dans la loi, l’indépendance financière des femmes reste à conquérir pour beaucoup de femmes, à certaines époques de leur vie.
Le politique dispose de quatre principaux leviers d’action :
- Sa propre responsabilité d’employeur pour agir contre les inégalités salariales dans les métiers du care qui dépendant de l’État : enseignement, hôpital public, services sociaux…
- La fiscalité avec par exemple le questionnement très d’actualité du principe de la conjugalisation de l’impôt, qui peut se révéler défavorable à la personne qui gagne le moins en cas d’écart de revenu important au sein du couple
- Le droit de la famille qui régit les unions, les séparations, les successions et donc l’évolution du patrimoine des hommes et des femmes.
- Le droit social au sein duquel, par exemple, le calcul de retraites porte de forts enjeux d’égalisation des pensions entre hommes et femmes.
Chacune des pistes évoquées aujourd’hui pourrait faire l’objet d’un podcast entier, et de multiples facettes restent à explorer.
L’argent est sujet inépuisable, parfois dérangeant , nous avons à questionner notre rapport à l’argent dans la perspective des aspirations spécifiques des hommes et des femmes, des enjeux d’indépendance financière de tous et aussi des enjeux d’équilibre pour la société tout entière. Au niveau de l’entreprise, c’est d’un questionnement neutre et éclairé, loin des caricatures, qu’émergeront des pistes d’innovation sociale et économique, à la lumière des enjeux de la mixité entre femmes et hommes.